Fondatrice et Présidente de KAZoART.com, plateforme de promotion des artistes émergents, Mathilde Le Roy vient de diffuser une tribune, dénonçant l’état grave dans lequel les créateurs se trouvent aujourd’hui. Si la vie d’artiste fait rêver, elle porte également son lot de difficultés, souvent totalement ignorées du grand public. L’art contemporain, qu’il s’agisse d’écriture, de dessin, de sculpture ou de photos, et bien d’autres, souffre évidemment d’une crise protéiforme. Son analyse participe d’une réflexion plus globale, permettant à chacun de mieux mesurer l’ampleur de cette crise.
De l'art ou du cochon, mon canard ? – ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Lorsqu’on pense à la « vie d’artiste », c’est bien souvent la vision romantique de l’artiste dans sa tour d’ivoire qui nous vient, tellement habité par son processus créatif qu’il peut vivre d’amour et d’eau fraîche.
Mais à quoi ressemble réellement la vie d’un artiste aujourd’hui ? Est-ce une folie que de se destiner à une carrière d’artiste ? Est-il encore possible d’émerger dans un univers aussi cadré et conformiste que celui qu’on appelle l’« Art contemporain », et dans lequel le public ne se retrouve pas plus que la majorité des artistes ?
Fondatrice d’une plateforme d’art en ligne qui entend rendre l’art plus accessible, et accompagner les artistes émergents en tant que véritable « incubateur » de nouveaux talents, je suis aux premières loges pour constater que la vie d’artiste est loin d’être aisée, tant il est devenu compliqué pour un artiste d’émerger dans un marché extrêmement fermé, codifié et conformiste, au détriment de la diversité et de la création elle-même.
Force est de constater tout d’abord que le fait d’avoir bénéficié d’une formation dans une école supérieure d’art plastique est sans doute un facilitateur, mais ne constitue en aucun cas une garantie de se faire une place en tant qu’artiste reconnu et de pouvoir vivre de son art.
Ainsi, ils ne seraient au final que 5 % parmi les diplômés sortant des écoles d’art plastique à entreprendre une carrière d’artiste plasticien. Ce qui constitue un vrai choix de vie, avec des revenus souvent faibles et des renoncements matériels conséquents, tant il est devenu quasiment impossible aujourd’hui pour un artiste de « vivre de son art ».
Dans la plupart des cas, les jeunes qui sortent des écoles d’art sont contraints de choisir un statut de salarié « alimentaire » sans rapport avec leur formation, qui leur permettra au mieux de consacrer en parallèle quelques heures par semaine à la création, quand ce n’est pas un abandon pur et simple de leur pratique artistique.
L’idée n’est pas de « faire pleurer dans les chaumières », les artistes ont leur fierté, et ils ont bien raison. Quoi de plus beau, après tout, que d’avoir cette liberté d’esprit de pouvoir se consacrer pleinement à la création ? N’est-ce pas finalement moins aliénant que de devoir se soumettre à l’injonction de nos vies modernes, conformistes et consuméristes ? Chacun ses choix, ses libertés et ses aliénations ! Mais il n’empêche que cette liberté ne devrait pas avoir un tel prix, qui empêche aujourd’hui bon nombre de jeunes talents de se lancer dans une carrière d’artiste plasticien. La conséquence, c’est une profession (car, oui, c’est une profession) en crise, des vocations qui se perdent, et une création qui se flétrit.
Pourquoi en sommes-nous là aujourd’hui ? Comment faire bouger le « système », pour que la reconnaissance puisse toucher une frange plus importante d’artistes ?
En 2012, la Maison des Artistes, association professionnelle qui accompagne les artistes dans leur carrière, avait publié à l’attention de la classe politique un « Manifeste des Arts Visuels » faisant état des revendications pour promouvoir la profession d’artistes plasticiens. Et force est de constater qu’il n’y a eu depuis aucune avancée dans ce sens, et, même, plutôt l’inverse.
La principale cause : le conformisme et l’uniformisation de la critique, institionnalisée en France et partagée entre les mains des structures publiques de soutien à l’art contemporain d’une part, et le marché, les grands collectionneurs d’autre part, qui soutiennent la même mouvance artistique qu’on appelle abusivement « Art contemporain ».
Ainsi, le paysage artistique officiel actuel ne privilégie qu’un petit nombre d’artistes au détriment d’une majorité pourtant extrêmement riche et diverse, et au détriment d’un public dont on restreint et dénie la liberté de choix.
Bien au-delà des galeries, qui reproduisent aussi allègrement ce modèle, les artistes présentent leurs créations dans les lieux les plus divers, du salon traditionnel ou des foires d’art contemporain à l’espace le plus éphémère et underground, qui sont tous des outils de découverte et de reconnaissance majeurs pour des milliers d’entre nous.
Mais la plupart de ces manifestations vivotent, ou sont financées à bout de bras par les artistes eux-mêmes, et ne bénéficient d’aucun soutien public, ceux-ci se concentrant vers une poignée de grandes manifestations déjà très reconnues.
Et c’est là que le décideur public a la responsabilité de faire se rencontrer la réalité de la création d’une époque dans toute sa diversité, et non maintenir un système oligarchique où seule une poignée « d’élus » en bénéficient, selon un système de sélection dont la représentativité des goûts du public est discutable.
Car dans cet éventail d’offres, il y a des démarches, des langages d’accès moins difficiles que d’autres, des esthétiques de sensibilité diverses dans lesquelles le public peut se retrouver et participer au débat.
La valeur produite par l’art doit s’inscrire dans un ordre économique et concerner la société dans son ensemble, si l’on veut que l’intérêt pour la création artistique s’ancre dans la culture des Français et que l’achat d’œuvres devienne une pratique plus courante, et que l’Art n’apparaisse plus comme une dépense futile !
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